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Benoit Bergeret, vieux routier de l’IA, co-fondateur du Hub France IA, consultant

Passer du POC à l’industrialisation


Interview de Benoit Bergeret

 

1/ Benoit qui es-tu ? Quel est ton background dans l’IA ? 

Je suis ingénieur en « Applications Industrielles de l’Intelligence Artificielle », le titre officiel de mon diplôme de l’UT Compiègne, obtenu en 1987. J’ai commencé ma carrière en développant des systèmes d’IA embarquée sur le Rafale, pour le gouvernement et l’industrie, en France et à l’étranger. Tenté par les affaires, j’ai ensuite quitté le développement pour le marketing de produit IA et deep tech, puis leurs ventes, jusqu’à  diriger l’organisation commerciale Europe de la division logiciel de Lucent Technologies. Apres un passage par le conseil, séduit par le potentiel des caméras embarquées et connectées qui apparaissent sur les téléphones portables, j’ai ensuite créé successivement deux sociétés, Releyes3D en 2002 à Paris, puis Qipit en 2006 à San Francisco, pour développer des application pratiques, quotidiennes, de la vision artificielle pour les utilisateurs de smart phones. Je me suis ensuite attaché aux redressements successifs de trois startups en difficulté, toujours en deep tech et IA.

J’ai vécu en tout 17 ans aux Etats-Unis et suis rentré en France mi-2017.

Co-fondateur du Hub France IA, j’ai toujours été très actif dans l’écosystème : ambassadeur de la French Tech de la première heure, membre du Comité Consultatif du fonds French Tech Accélération, conseiller informel des cabinets des Secrétaires d’Etat au Numérique depuis Eric Besson. Je suis particulièrement impliqué dans le développement du potentiel de l’écosystème IA en France, et travaille quotidiennement avec les équipes du Hub France IA à accélérer l’adoption de l’IA par tous les acteurs des économies  française et européenne.

Mon activité principale est d’aider les entreprises européennes de toutes tailles à « passer à l’IA », avec ma structure de conseil, strategies.ai. Je me concentre plus particulièrement sur les entreprises portant des ambitions radicales de transformation de leur cœur de métier par l ‘IA.

2/ Quelle est ta vision sur le marché de l’IA français? Les principaux enjeux du moment ?

L’OCDE classait en juin 2018 la France au 17ème rang (sur 23) en Europe pour le taux de numérisation des entreprises[i]. Il y a une opportunité pour les entreprises françaises de rattraper ce retard en sautant sur le train de la transformation par l’IA. Les enjeux pour elles sont nombreux : maintien de leur compétitivité face à la menace des plateformes de données, produits et services développées à l’étranger ; la transformation de leurs métiers, et ses impacts sur l’emploi ; et le développement de nouvelles activités de croissance, impensables sans utilisation de l’IA.

Le « marché de l’IA » en France, c’est toute l’économie industrielle. Tout est à faire, et le moment est venu pour nos entreprises de passer à l’action. Il n’y a pas aujourd’hui d’entreprise qui ne puisse bénéficier de l’adoption de l’IA. Les principaux facteurs limitant, ce sont l’éducation, la sensibilisation des dirigeants ; et la disponibilité de ressources compétentes en nombre suffisant pour accompagner cette transformation.

“Pour le gouvernement, 2019 est l’année ou chaque société en France comprend que l’IA est aussi pour eux”

Le gouvernement l’a bien compris, et il a lancé récemment une série d’initiatives visant à équiper le tissu économique de moyens pour faciliter l’adoption de l’IA par toute les entreprises : création de quatre Instituts Interdisciplinaires en IA (« 3IA ») à Paris, Nice, Toulouse et Grenoble ; acquisition par le CNRS d’un système HPC à fins de recherche et d’études en apprentissage automatique ; et projets visant à diffuser le principe de la mutualisation des données dans plusieurs secteurs industriels.

Pour citer Betrand Pailhes, Coordinateur National de l’IA pour le gouvernement : « Pour le gouvernement, 2019 est l’année ou chaque société en France comprend que l’IA est aussi pour eux ».

3/ Quels conseils donnerais-tu aux dirigeants qui se posent la question de l’adoption de l’IA par leur entreprise ?

D’abord il faut distinguer les entreprises dont le cœur de métier est basé sur la data d’une part, des entreprises traditionnelles (au sens de la donnée), d’autre part. Parmi les premières, on trouve la plupart des activités dématérialisées : banques, compagnies d’assurances, agences de voyage, par exemple. Dans la seconde catégorie, les entreprises manufacturières ou de l’industrie de transformation. Entre les deux, on trouve des sociétés qui ont franchi le passage au numérique, mais qui n’exploitent pas encore de manière optimale les données générées : par exemple des entreprises de transport, du secteur médical, de travail temporaire et de gestion de ressources humaines, etc.

Pour les premières, l’adoption de l’IA est relativement simple, car elles ont déjà à disposition la « matière première » (les données), et pour elles l’enjeu est de comprendre ce que l’IA (plus précisément, les techniques d’apprentissage automatique, machine learning, deep learning …) peut leur apporter. Souvent pour ces métiers, l’IA appliquée constitue un bénéfice incrémental relativement évident, sans avoir besoin d’une IA hyper performante. Si, par exemple, une solution d’IA permet d’améliorer le ciblage de campagnes marketing, que l’amélioration soit de 30% ou de 80%, l’apport est tangible, et la valeur apportée par l’IA indiscutable. On n’a pas besoin ici de 100% de performance.

“Appliquer des technologies d’IA pour transformer un métier est souvent un problème pluridisciplinaire”

Pour les secondes, la question est plus complexe. Appliquer des technologies d’IA pour transformer un métier est souvent un problème pluridisciplinaire qui va au-delà du traitement de données disponibles. D’abord, il faut développer une vision de la transformation du cœur de métier envisagée grâce l’IA.  Ensuite, il faut identifier les données nécessaires, les collecter, les préparer. Puis leur appliquer les traitements pertinents, dans le respect des contraintes pratiques, concrètes, des processus industriels concernés. Et vérifier que la performance du système d’IA est compatible avec les attentes (de qualité, d’audit, de performance) du métier. On ne peut pas par exemple se contenter, pour un système de reconnaissance de défauts en sortie d’une chaine de production, un taux de détection des défauts de 8 sur 10, quand un opérateur humain les reconnaît 9 fois sur 10. C’est la nécessité d’atteindre ces niveaux de performance qui génère la complexité de ces solutions d’IA appliquée, pour lesquelles les produits éventuellement disponibles sont rarement adaptés. Autant dans les activités dématérialisées, il est relativement simple d’adapter les processus métiers aux outils du marché, dans le monde industriel, c’est le plus souvent la technologie qui doit s’adapter.

“La première responsabilité du dirigeant et de son équipe est de se former à l’IA”

Dans ce contexte, la première responsabilité du dirigeant et de son équipe est de se former, pour comprendre les enjeux et les impacts potentiels : “penser l’IA appliquée a son métier”. De cette réflexion doit sortir une stratégie d’IA ambitieuse (sinon, pourquoi investir ? Il n’y a pas d’IA à bas coût) pour anticiper les menaces long terme : maintien ou augmentation de la compétitivité et anticipation des disruptions de l’industrie dans laquelle on opère. Voire, pourquoi pas, comme je l’ai impulsé chez un de mes clients récemment, développer une stratégie de croissance nouvelle, entièrement basée sur l’adoption de l’IA au cœur des métiers.

Il sera ensuite très important d’établir un diagnostic complet de la maturité data + IA + finances de l’entreprise. Ce diagnostic sera la fondation des décisions d’implémentation de la stratégie. Pour cela, on peut faire appel à des individus experts, malheureusement rares et souvent difficiles à identifier, qui combinent expertise en IA et expérience pratique en entreprise. L’initiative « Diag data+IA » de bpifrance va dans ce sens, offrant un accès subventionné à un pool d’experts certifiés. Dans un autre registre, le « Pack IA » en cours de mise en place par la région Ile de France (dont l’objet est de mettre le pied a l’étrier de l’IA de 100 PME par an) peut rendre service aux entreprises de la région. Un tel diagnostic devra permettre si possible l’identification de projets candidats.

“Il est contre-productif de vouloir tester l’IA sur des zones périphériques de l’activité de l’entreprise”

Ensuite, il faudra choisir un premier projet. Il est contre-productif de vouloir tester l’IA sur des zones « périphériques » de l’activité de l’entreprise. Installer l’électricité dans la cabane a outils au fond du jardin ne permet pas d’anticiper l’impact de l’électrification de la maison. Développer un « PoC » (proof of concept », ou « proof of success » comme certains consultants choisissent désormais de l’appeler, conscients des limites de l’approche – ça coute moins cher de repeindre la mariée !), sans prendre en compte les contraintes d’industrialisation, est une perte de temps.

Une fois le bon projet choisi, il faudra définir le ROI attendu, et les KPI qui permettront de mesurer la performance business du projet d’IA. Il faudra faire le point sur les ressources à disposition pour ce projet (startups, data scientists internes — ou disponibles dans l’écosystème, centres de recherche appliquée, etc.) et identifier les gaps. Intégrer les équipes métier et support (IT, etc.) dès le début du projet. Puis exécuter, exécuter, exécuter. L’IA surprend souvent, déçoit parfois dans un premier temps, car sa mise en œuvre ne ressemble à rien de connu par les entreprises. Il faut persévérer en se rappelant que l’IA appliquée est autant un art qu’une science ; et que la coopération de toute l’entreprise, et des bonnes ressources externes, est nécessaire pour que la transformation soit réussie.

En conclusion

“Just as electricity transformed almost everything 100 years ago, today I actually have a hard time thinking of an industry that I don’t think AI will transform in the next several years.” — Andrew Ng

Quelle entreprise a survécu, qui n’a pas fait le choix de l’électricité ?

 


[i] Resumé du rapport ‘Études économiques de l’OCDE Union Européenne Juin 2018 SYNTHÈSE’ https://www.oecd.org/fr/eco/etudes/Union-Europeenne-2018-OCDE-etudes-economiques-synthese.pdf

Et vous, qu’allez-vous pouvoir développer avec l’IA dans votre métier, votre entreprise ? 2 jours pour le découvrir !